Signe(s) particulier(s) :
– basé sur un "fragment" d’histoire datant de la Première Guerre mondiale que le romancier et écrivain Alfred Mendes (1897-1991) avait raconté à son petit-fils, le cinéaste Sam Mendes ;
– tourné de manière à donner l’effet d’un seul plan-séquence ;
– Golden Globes 2020 : prix du meilleur film (catégorie drame) et du meilleur réalisateur pour Sam Mendes.
Résumé : Pris dans la tourmente de la Première Guerre Mondiale, Schofield et Blake, deux jeunes soldats britanniques, se voient assigner une mission à proprement parler impossible. Porteurs d’un message qui pourrait empêcher une attaque dévastatrice et la mort de centaines de soldats, dont le frère de Blake, ils se lancent dans une véritable course contre la montre, derrière les lignes ennemies.
La critique de Julien
Après avoir signé deux films d’affilée de la saga "James Bond" avec "Skyfall" (2012) et "Spectre" (2015), Sam Mendes était attendu au tournant, dans le sens où l’on ne savait pas si le cinéaste anglais allait revenir à du cinéma plus confidentiel (comme il l’avait déjà fait), ou bien continuer à manier le film à gros budget. Mais la réponse est aujourd’hui très claire, avec la sortie de son huitième long métrage intitulé 1917, inspiré par son grand-père Alfred Mendes, et plus particulièrement des histoires qu’il lui racontait jadis, lui qui a combattu durant la Première Guerre mondiale en tant que fantassin pour l’armée britannique, et cela le long du front belge, de 1916 à 1918, avant d’être médaillé pour s’être distingué sur le champ de bataille. Techniquement étourdissant, et délivrant un double message, il est fort à parier que l’on retrouvera ce drame de guerre dans les classements des meilleurs films de l’année qui commence à peine, et peut-être même parmi les meilleurs films de guerre jamais réalisés.
Situé sur le front au plus fort de la Première Guerre mondiale au printemps 1917 dans le nord de la France, 1917 suit deux jeunes soldats et amis britanniques, Schofield (George MacKay) et Blake (Dean-Charles Chapman), lesquels se voient confier une mission de la plus haute importance. L’ennemi allemand ayant détruit toutes les lignes d’appel, ils devront délivrer un message de la part du Général Erinmore (Colin Firth) à destination du Colonel Mackenzie (Benedict Cumberbatch), chapeautant un autre bataillon, lequel s’apprête alors à donner l’assaut contre les allemands, après leur retraite sur la ligne Hindenburg (position défensive ennemie plus courte et plus facile à défendre), pendant l’opération Alberich. Mais ce qu’ils ne savent pas, c’est qu’il s’agit là d’une embuscade préméditée par les Allemands, et que tous ces soldats courent vers une mort certaine. Pour éviter cela, Schofield et Blake devront alors traverser le territoire ennemi, et risquer leur vie pour sauver celle de plus de 1600 hommes, dont celle du propre frère de Blake. Commence alors pour eux une périlleuse course contre la montre...
Immersif. Prodigieux. Intense. Tels sont les maîtres-mots qui nous viennent à l’esprit à l’issue de la vision de ce film qui ouvre parfaitement les hostilités cinématographiques de l’année 2020. En l’occurrence, Sam Mendes nous transporte instantanément dans les tranchées et sur le front, grâce à un travail logistique d’un réalisme fou. Tourné sous forme de plusieurs longues prises de vues réelles, le cinéaste fait preuve ici d’une maîtrise exemplaire dans sa réalisation, donnant ainsi l’effet d’un seul et même plan-séquence, grâce à l’utilisation de plans de caméra en mouvement ne laissant aucunement présager des coupures au montage. Pourtant, elles sont bien là ! D’ailleurs, les yeux des spectateurs les plus aguerris et des cinéphiles parviendront sans doute à les dénicher, étant donné des moments et décors opportuns rencontrés par les deux personnages principaux. Monté par l’Australien Lee Smith, récompensé de l’Oscar du meilleur montage pour le film "Dunkerque" (2017) de Christopher Nolan, 1917 ne lâche alors jamais d’une semelle ses deux soldats, ayant la mort aux trousses. Mais ce n’est rien face à leur honneur et bravoure infaillibles. Par cette mise en scène scrupuleuse et audacieuse, Mendes réussit à nous faire vivre une expérience de cinéma comme on en n’avait encore jamais vécue, étant donné qu’il nous invite à découvrir en temps réel (ou presque) les décors traversés par ses acteurs, jonchés de débris, d’obus, et bien entendu de cadavres. Car il s’agit véritablement là d’un film de guerre, qui ne nous épargne en rien sa cruauté, sa saleté, ou encore ses odeurs nauséabondes, que l’on arriverait ainsi à ressentir. C’est dire ! Mais ce qui est d’autant plus remarquable ici est le soin apporté aux détails, malgré la nécessité de tourner en prises de vues extérieures larges (outre quelques scènes). On a alors la curieuse impression de se retrouver en compagnie de ces messieurs, dans leur mission suicide. 1917 filme alors ses caractères de sorte à créer en nous tension et anxiété, sans jamais nous prévenir de ce qui va leur (nous) arriver l’instant d’après (pour ne pas dire le plan !). Imprévisible, donc, et tendu jusqu’au dernier souffle, ce film a l’effet d’une grenade dégoupillée : une fois lancée, on sait qu’elle va exploser. Il n’est alors plus question que d’un court instant avant le choc. Or, pour ces hommes, il s’agit là d’une éternité, tandis que leur vie, elle, peut donc s’arrêter à tout moment.
Outre Lee Smith au montage, Mendes s’est une fois de plus entouré de son habituelle équipe technique, dont Roger Deakins, lui qui, après douze nominations à l’Oscar de la meilleure photographie, a fini par l’emporter pour son magnifique travail effectué sur le "Blade Runner 2049" (2017) de Denis Villeneuve. Qu’à cela ne tienne, il ne devrait pas avoir trop de mal à le récupérer pour celle de 1917. Tourné en Angleterre et en Ecosse, il transparaît du film une palette de tons synonymes de temps de guerre, tandis que les quelques couleurs végétales qu’on y croise font du bien. Avec l’aide de Dennis Gassner ("Road to Perdition") et Lee Sandales ("War Horse") au design, la lumière joue ici un rôle crucial dans ce film. Qu’elle jaillisse d’une ville en feu pendant la nuit ou de fusées éclairantes, son utilisation est sans cesse pertinente, et offre aux décors, aux costumes, aux maquillages, une authenticité qui ne fait que s’accroître encore un peu plus. De paysages en ruine, mêlés de poussière et de fumée, en passant par des chemins boueux, rythmés de corps en décomposition, jusqu’aux torrents effrénés d’une rivière, les états et conditions auxquels sont soumis ces deux héros laissent imaginer, une fois de plus, l’enfer de la guerre. Mais de ce calvaire sur Terre se dégage un véritable raz-de-marée émotionnel, porté par la musique de Thomas Newman, pour sa septième collaboration avec Sam Mendes. Et force est de constater que celle-ci accompagne et porte l’image, et sans jamais chercher à provoquer notre empathie. Le dosage est ponctué, subtil, et les envolées n’en sont que plus efficaces. Techniquement, 1917 est tout simplement d’une prouesse absolue.
Interprété avec intégrité et force par George MacKay (vu dans "Captain Fantastic") et Dean-Charles Chapman (vu dans la série "Game of Thrones"), ce film rend évidemment hommage aux victimes de la guerre vis-à-vis de ces deux jeunes hommes, envoyés à la mort, tandis que les échanges aussi forts qu’anecdotiques auxquels ils s’adonnent illustrent avec justesse leurs émotions ressenties face à ce qu’ils sont en train de vivre, et comment cela les marquera (eux et leur famille) jusqu’à la prochaine minute, la prochaine guerre (s’ils ont la chance de survivre à celle-ci), sinon pour le restant de leur vie… Mais tandis que le temps est ici leur pire ennemi (même si les Allemands sont effroyables de déterminisme à tuer), ces soldats se battront alors vaille que vaille pour sauver des vies, au péril de la leur. Et cela, Sam Mendes parvient à l’illustrer de la meilleure de manière qui soit, sans qu’en découle forcément du patriotisme, mais bien de l’héroïsme à l’état pur.
1917 est sans doute ce qu’on a vu de mieux dans le genre depuis bien longtemps, malgré quelques excellents films récents tels que "Hacksaw Ridge" (2016) de Mel Gibson ou encore "Dunkerque" (2017) de Christopher Nolan. Mais le film de Sam Mendes s’en détache par la simplicité de son récit-mission qui, porté par une cinématographie virtuose et un travail de réalisation méticuleux et absolument bluffant, permet au spectateur de vivre une expérience inédite, et historique. Et c’est ce qu’on attendait ! D’ailleurs, on vous invite à la poursuivre sur la toile, avec le making-of du film. Bref. Vous ne serez pas déçus !
Bande-annonce :
➡ Vu au cinéma au Kinepolis Bruxelles