Bandeau
CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews sur la radio RCF Bruxelles (celle-ci n’est aucunement responsable du site ou de ses contenus et aucun lien contractuel ne les relie). Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques et en devient le principal rédacteur depuis 2022.

Baz Luhrmann
Elvis
Sortie du film le 22 juin 2022
Article mis en ligne le 24 juin 2022

par Julien Brnl

Genre : Biopic, film musical

Durée : 159’

Acteurs : Austin Butler, Tom Hanks, Olivia DeJonge, Richard Roxburgh, David Wenham, Dacre Montgomery, Luke Bracey, Kelvin Harrison Jr., Kodi Smit-McPhee...

Synopsis :
Le film s’attache à retracer la vie et à l’œuvre d’Elvis Presley, à travers le prisme de ses rapports complexes avec son mystérieux manager, le colonel Tom Parker. En une vingtaine d’années, tandis que l’Amérique est traversée par des bouleversements socioculturels majeurs et perd son innocence, Elvis devient une star planétaire. Dans son ascension fulgurante, un être tient une place prépondérante : Priscilla Presley.

La critique de Julien

Critique XXL pour un film qui l’est tout autant !

Il fallait bien un réalisateur aussi extravagant et en quête d’éternité que Baz Luhrmann pour adapter au cinéma la vie du King, Elvis Presley. D’ailleurs, lorsque nous avions appris en 2014 que le metteur en scène australien était en négociations pour réaliser un film sur cette légende, nous n’en pouvions déjà plus d’imaginer le résultat, connaissant l’œuvre du cinéaste (dont nous sommes totalement accro), lequel a notamment réalisé les films "Roméo + Juliette" (1996), "Moulin Rouge !" (2001) ou encore "Gatsby le Magnifique" (2013). Huit ans plus tard, l’attente est ainsi révolue, et celle-ci en valait bien la chandelle. En effet, le réalisateur offre ici son savoir-faire et son art tout entier afin de rendre grâce à la vie flamboyante et tumultueuse de l’artiste, nourrie à l’amour dévorant du public, mais enfermé très tôt dans une cage dorée par son imprésario, Colonel Parker, lequel est ici le narrateur de l’histoire.

Le film s’ouvre alors en 1997, tandis que l’ancien manager d’Elvis est sur son lit de mort, à Vegas, lequel revient sur ce qu’on a dit de lui concernant sa complexe relation professionnelle avec le futur roi du rock’n’roll, ainsi et surtout que sur la façon dont il a rencontré pour la première fois le futur "roi du rock and roll". Et autant dire que cette introduction est à la hauteur du cinéma de Baz Luhrmann. Virevoltante, et riche d’idées visuelles à la fois clinquantes et flamboyantes, à l’image du King (sublime passage en BD, faisant référence à l’amour qu’éprouvait Elvis pour celle-ci, et principalement pour Captain Marvel Jr.), cette ouverture fait également écho dans sa forme à la spirale infernale dans laquelle s’est retrouvé, pris au piège, l’artiste. Une entame qui réconforte aussitôt ce plongeon - les yeux et les oreilles bien ouverts - dans ce biopic, présenté en avant-première hors compétition au dernier Festival de Cannes, et qui annonce la couleur de ce qui va suivre sur près de trois heures de film. Mais il fallait également bien cela pour oser se frotter à cette carrière, aussi grandiose, mythique que gâchée. La caméra de Luhrmann a alors le rythme et le swing dans la peau, et enchaîne les séquences aussi virtuoses les unes que les autres, en parallèle de la montée en puissance du succès du chanteur, avant de calmer le jeu, étant donné ses hauts et ses bas, lesquels vont se succéder, sans compter sur ses démons...

"Elvis" s’étend ainsi sur plus de cinquante ans, en commençant par l’enfance pauvre d’Elvis Presley, avec ses parents Vernon et Gladys, lui dont le frère jumeau, Jesse, est mort-né une demi-heure avant sa naissance. Très vite, le jeune garçon découvrira en la musique une forme de salut, une fascination qui le ridiculisera tout aussi vite aux yeux de ses pairs, et de l’Amérique ségrégationniste. C’est que le jeune homme était en admiration pour la musique afro-américaine, lequel traînait sans cesse à Beale Street, à Memphis, dans le Tennessee, durant son adolescence, arborant, au fil du temps, des rouflaquettes, et utilisant de l’huile essentielle de rose et de la vaseline pour se coiffer, tandis qu’il s’habillait chez le tailleur Lansky Brothers, situé dans cette célèbre rue, devenue un haut lieu historique pour les Afro-Américains et le Blues. De ses débuts chez Sun Records - le film ne revient pas sur son groupe TCB ("Take Care of Business") - à sa rencontre avec Parker, suivi du rachat de son contrat par RCA Victor (pour une somme jamais vue à l’époque), la carrière d’Elvis était définitivement lancée, et toute tracée...
Baz Luhrmann revient ainsi sur ses débuts en fanfare, et les rapides controverses médiatiques dont il a fait les frais, étant donné les mouvements suggestifs qu’il réalisait, et notamment sur "Hound Dog", lequel sera surnommé "Elvis le Pelvis" pour son célèbre déhanché. Accusé de bouger comme un Afro-américain, même les radios consacrées à la country refuseront de le diffuser sous prétexte qu’il chante comme un Afro-américain, tandis que celles consacrées au blues le rejetteront parce qu’il chante de la musique de péquenauds, tandis que les familles pro-américaines craindront que sa musique ne corrompe leurs enfants. Tout cela avant de connaître bien évidemment la consécration au Ed Sullivan Show avec son titre "Love Me Tender", extrait du premier film dans lequel il a joué, "Le Cavalier du Crépuscule" (1956). Mais "Elvis" ne montre pas cet épisode, préférant nous faire croire que la seule issue pour redorer son image suite aux polémiques était, d’une part, de le relooker et de lui faire contrôler ses mouvements de scène innés, et d’autre part de l’envoyer en Allemagne effectuer son service militaire. C’est d’ailleurs là-bas qu’il rencontrera une certaine Priscilla, surnommée "Satnin", laquelle deviendra sa seule épouse, et lui donnera une fille...

Vous l’avez sans doute compris, "Elvis" n’est pas une adaptation totalement fidèle au bon déroulé de sa carrière, lui qui accuse d’ailleurs quelques anachronismes et ficelles du genre, et une écriture romancée, mais pour le bien de ce qu’appelle le cinéma, à savoir du spectacle, et de m’émotion. D’ailleurs, Luhrmann a déclaré qu’un montage de quatre heures existe bel et bien, lui qui a dû ainsi le réduire à deux heures et trente minutes afin de répondre à la demande du studio. Qu’à cela ne tienne, "Elvis" est un film relativement fidèle, honnête, et qui parvient, malgré ses raccourcis, à conserver l’esprit du personnage qu’était Elvis Presley. Et ce que l’on peut certifier sans conteste, c’est que le réalisateur australien a réussi à mettre à profit ses exubérances de mise en scène pour servir l’artiste qu’il adapte ici, tel un passionné. Car son film transpire d’amour, de reconnaissance, et de majestuosité pour cette icône culturelle majeure du XXe siècle.

Dans la peau du chanteur, c’est la révélation Austin Butler que l’on retrouve, lui qui a été vu récemment en second-rôle chez Jim Jarmusch ou Quentin Tarantino. Or, il en faut également pour oser entrer dans la peau d’une telle star, dont les fans se comptent par centaines de millions. Mais l’acteur est ici époustouflant de mimétisme gestuel, lequel lui ressemble bien, et sans doute plus encore dans l’évolution de son look, surtout lorsqu’il porte son costume en cuir noir et ses favoris. Les scènes en live reconstituées (en référence aux plateaux de télé qu’il a foulés) prouvent ainsi que ceux qui l’ont choisi ne se sont pas trompés. On pense notamment ici à son passage au "Sit Down Show", où l’on croirait voir le vrai. C’est assez bluffant. Et puis, que dire de la voix de l’acteur, qui épouse étonnamment celle de l’artiste, tel un miracle sur Terre, lui qui a également poussé la chansonnette dans le film, ou en tout cas pour la première partie de la carrière du chanteur, avant que sa voix ne soit mixée à la sienne pour ses dernières années, pour une question de réalisme et de fidélité. Luhrmann a d’ailleurs a mis en ligne un test caméra datant de 2019, où l’acteur joue également de la guitare. Incroyable, d’autant plus qu’il fait preuve là d’une énergie folle, le diable au corps, tel qu’Elvis l’avait.

Par le prisme narratif de son film, Baz Luhrmann lève donc forcément le voile sur la relation qu’entretenaient le chanteur et son imprésario, Colonel Parker, joué par un Tom Hanks méconnaissable, lequel endosse formidablement bien ce rôle de mystificateur et d’enfumeur sans scrupule, à l’identité et aux origines mystérieuses. Or, ce dernier a profité du succès et de la naïveté d’Elvis pour s’en mettre plein les poches, bien qu’Elvis ait également profité - mais d’une autre manière - de son manager pour devenir la star qu’il est devenue. Tout cela n’est donc pas aussi simple, ce que "Elvis" nous dévoile de manière passionnante au fil de cette carrière et de leur collaboration, parfois forcée, de laquelle Elvis a essayé, à plusieurs reprises, de se défaire, sans pour autant y arriver. Quoi qu’il en soit, "Elvis" nous met plein les yeux de la poudre aux yeux qu’est le monde du business, avec une certaine efficacité monstrueuse dans ses propos.

Aussi surprenant soit-il, si elle a connu une résonnance internationale, la carrière d’Elvis ne lui a pourtant, et tristement jamais permis de voyager à l’étranger. Tel qu’on l’apprend ici, c’est bien à Vegas, à l’Hôtel International, que le chanteur a connu un long et véritable triomphe, lequel jouera à guichets fermés durant plusieurs années, tout en voyageant aux États-Unis pour se produire aux quatre coins du pays. Elvis n’a donc jamais rencontré son public étranger, ce qui restera toujours pour lui un rêve inaccessible. Et tout comme il l’a fait des années plus tôt avec sa carrière hollywoodienne, le chanteur s’est enfermé dans une torpeur morbide, ce qui a entraîné son divorce, ainsi que privé de sa fille Lisa Marie, lui qui abusait de médicaments, dont de barbituriques, tout en étant accro à la drogue, lui qui aurait goutté aux amphétamines pour la première fois à Friedberg, durant son service militaire, avant d’en devenir un grand consommateur. C’est donc aussi ça, "Elvis", soit l’envers du décor peu flatteur de sa vie d’artiste solitaire, tourmenté, et finalement heureux que lorsqu’il était sur scène... Qu’il l’ait donc empêché ou non de voyager, de s’épanouir pleinement, l’emprise qu’avait le Colonel Parker sur son poulain a entraîné sa tragique perte. Et c’est dans le traitement de ce rapport vicieux de manipulation et de confiance aveugle que le film réussit l’un de ses tours de force, digne d’un tour de passe-passe dont était fan le Colonel Parker, lui qui fut aboyeur de cirque chez Barnum. Sauf que Baz Luhrmann ne ment pas sur sa marchandise, et nous offre quant à lui un spectacle foisonnant pour lequel vous en aurez pour votre argent.

"Elvis" nous dévoile aussi, par ce portrait, le visage d’une Amérique clivée, Elvis ayant été la cible d’insultes, de moqueries pour son soutien à la culture Afro-américaine, lequel a d’ailleurs été terriblement marqué par la mort de Martin Luther-King, ou encore de Robert Kennedy. Sauf qu’une fois de plus, Parker ne voulait pas qu’il prenne position dans la politique, mais bien qu’il soit le "gendre idéal pour l’Amérique", ou sa petite marionnette, jouant au cinéma, ou chantant des airs entêtants amenés à devenir de grands classiques...

Et en parlant de musique, comme à son habitude, Baz Luhrmann nourrit son film d’une bande-originale de haute voltige, alliant ici les grands classiques du chanteur, tandis que certains sont remixés pour l’occasion par la nouvelle génération, alors que des chansons inédites ont aussi été enregistrées. Même si l’on est surpris d’entendre finalement peu de chansons de son répertoire, "Elvis" nous donne à revivre de grands titres de celui-ci, auxquels le film redonne vie, porté par la réalisation démesurée, mais toujours pertinente de son réalisateur, une reconstitution, des décors et costumes ahurissants, et l’interprétation absolument habitée de ses interprètes principaux.

"Elvis", c’est donc ce que l’on peut vraiment appeler un vrai film de cinéma, réalisé donc pour le cinéma, et rendant toutes ses lettres de noblesses à certaines zones d’ombre de la vie malmenée du King, parti trop tôt, à 42 ans, alors que l’aura de l’artiste continue quant à elle d’entourer le monde actuel de la musique, et d’engendrer, jour après jour, de nouveaux fans. Nul que ce film y participera également ! Alors longue vie au King, et bravo à Baz Luhrmann !



Au hasard...

Air
le 14 avril 2023
Killers of the Flower Moon
le 11 novembre 2023
Dragged Across Concrete / Traîné sur le Bitume
le 22 juin 2019
Sisi & Ich
le 7 août 2023
Passages
le 21 août 2023
The Father
le 16 juin 2021
Crimes of the Future
le 30 mai 2022
Pig
le 3 novembre 2021
Les Pistolets en Plastique
le 30 juillet 2024
Le Mans 66 / Ford v Ferrari
le 23 novembre 2019
D’après une histoire vraie
le 15 novembre 2017
ADN
le 10 juin 2021
Toni en Famille
le 17 octobre 2023
Les Vieux Fourneaux 2 : Bons Pour l’Asile
le 21 août 2022
Hypnosen
le 29 mai 2024
Brightburn - l’Enfant du Mal
le 5 juillet 2019
POKÉMON Detective Pikachu
le 22 mai 2019
C’est Tout Pour Moi
le 11 décembre 2017
My Kid (Hine Anachnu)
le 4 janvier 2022
Tout s’est bien Passé
le 19 octobre 2021
Mentions légales Espace privé RSS

2014-2024 © CINECURE - Tous droits réservés
Haut de page
Réalisé sous SPIP
Habillage ESCAL 5.2.1