Genre : Drame, thriller
Durée : 165’
Acteurs : Benoît Magimel, Sergi López, Pahoa Mahagafanau, Marc Susini...
Synopsis :
Sur l’île de Tahiti, en Polynésie française, le Haut-Commissaire de la République De Roller, représentant de l’État Français, est un homme de calcul aux manières parfaites. Dans les réceptions officielles comme les établissements interlopes, il prend constamment le pouls d’une population locale d’où la colère peut émerger à tout moment. D’autant plus qu’une rumeur se fait insistante : on aurait aperçu un sous-marin dont la présence fantomatique annoncerait une reprise des essais nucléaires français.
La critique de Julien
"Pacifiction" est, en ce qui nous concerne, le premier film du réalisateur espagnol Albert Serra que nous découvrons en salle. Présenté en Sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 2022, ce thriller politique a été entièrement tourné en Polynésie française, en août 2021, alors que l’île était en confinement. C’est donc pour cela qu’on y croise que très peu de monde, dont les personnages du film. Et en parlant de personnages, c’est l’omniprésent Benoît Magimel qui campe ici le rôle principal de "Pacifiction", dans la peau d’un haut-commissaire de la République en Polynésie française (on parle de préfets dans toutes les autres régions françaises), qui, à ce titre, représente l’Etat. Alors que des rumeurs font état de la possible reprise d’essais nucléaires français sur l’île et ses alentours, ce dernier va prendre le pouls de l’île, et défendre ses intérêts, lequel se révèle être un homme affable, bon parleur, et calculateur maniéré. Allant de réceptions officielles à des établissements interlopes, en passant par une boîte de nuit, un spectacle de danse traditionnelle ou encore une compétition de surf, sa silhouette va scruter à la fois l’océan et la population locale (pêcheurs, autorités, activistes locaux, etc.), inquiète et en colère, afin de mener l’enquête... "Pacifiction", c’est ce qu’on appelle un ovni, soit un film inclassable, et qu’on aurait donc bien du mal à définir. C’est une œuvre à limiter à un public averti. Et on vous explique pourquoi...
Alors qu’elle fut l’épouse de Marlon Brando, et qu’elle grandit à Papeete, en Polynésie française, "Pacifiction" est inspirée de mémoires de l’actrice tahitienne Tarita Tériipaia, dans lesquelles elle témoignait notamment de la présence parfois nocive des Occidentaux sur ses terres, notamment sur le tournage des "Révoltés du Bounty" (1962), où elle tenait un des rôles principaux, face à son futur époux. Par ce biais, Albert Serra a alors imaginé ladite menace, mais d’un point de vue militaire, étant donné que l’armée française est ici présente dans l’océan qui borde les atolls polynésiens, ses marins et son amiral venant d’ailleurs se divertir dans leurs bars et boîtes de nuit, mais pas que. Mais pourquoi sont-ils présents ? Telle est la question. D’autres puissances étrangères sont-elles impliquées dans une quelconque mission à visée nucléaire ? Le réalisateur filme alors un impeccable Benoît Magimel, vêtu d’un costume blanc en toutes circonstances, affublé de lunettes de soleil aux verres bleuâtres. Sa masse, sa démarche, son phrasé manipulatoire et dirigé laissent alors transparaître tout le pouvoir qu’il a entre ses mains, bien que ce dernier s’effritera à mesure de sa mission, visant à mettre la population locale dans son sac. Sans doute au sommet de sa carrière, l’acteur en impose, même si son jeu ne varie aucunement tout le long du film, lequel est d’ailleurs très long. "Pacifiction" souffre, en effet, d’un montage sans une once de rythme. Et autant dire qu’on sent largement passer ces près de trois heures. Alors qu’il a tourné avec trois caméras en même, pour 540 heures de rushes au total, Albert Serra ne cache aucunement ses méthodes de travail, lui qui, après avoir tout regardé, note tout ce qu’il aime, entre "un geste, une réaction, une phrase, un dialogue de trois minutes...". Ne reste alors plus qu’à ses monteurs de ne monter que ce qu’il aime, au détriment de la narration, de la dramaturgie. En résulte un ici film hybride, essentiellement dialogué, et dont on ne comprend pas la signification de nombreuses séquences, pour autant qu’il y en ait une...
Albert Serra parvient sans mal à nous hypnotiser, quitte à nous tromper, au même titre que son personnage principal, lui qui filme de majestueux décors d’une beauté et d’une lumière qui semblent insaisissables, avec des couchers de soleil à couper le souffle, mais également des montagnes au sommet perché sur de petites îles, des récifs paradisiaques, ou encore une compétition de surf en pleine mer, captée depuis des bateaux de pêcheurs ou de plaisance, malgré la grandeur des vagues sur lesquelles ils naviguent. La cinématographie du "Pacifiction" semble alors tout droit sortie de l’imaginaire de Serra, voire d’un cauchemar nébuleux, alors appuyé par un filtre à l’image. Mais il n’en est rien. Il s’agit bien là d’une plongée dans un film d’ambiance psychédélique, plutôt qu’un film qui se raconte. Vous voilà prévenus...