Genre : Thriller
Durée : 102’
Acteurs : Channing Tatum, Naomi Ackie, Simon Rex, Christian Slater, Adria Arjona, Kyle MacLachlan, Geena Davis, Alia Shawkat, Haley Joel Osment...
Synopsis :
Frida est une jeune et intelligente serveuse de Los Angeles qui a les yeux fixés sur le philanthrope et magnat de la technologie, Slater King. Elle réussit à s’introduire dans le cercle fermé de King et à participer à une réunion intime sur son île privée. Malgré le cadre idyllique, la beauté des gens, le champagne qui coule à flots et les soirées dansantes, Frida sent que cette île a quelque chose de plus terrifiant qu’elle n’y paraît...
La critique de Julien
Fille du chanteur Lenny Kravitz et de l’actrice Lisa Bonet, Zoë Kravitz nous a déjà prouvé ses talents d’actrice, elle qui est également chanteuse et mannequin (elle est Égérie du parfum Black Opium d’Yves Saint-Laurent). Or, après l’avoir vue dernièrement dans "The Batman" (Matt Reeves, 2022) sous les traits de Selina Kyle / Catwoman face à Robert Pattinson, la demoiselle ajoute une double corde à son arc, elle qui fait, en effet, ses débuts en tant que réalisatrice et scénariste pour "Blink Twice", un thriller féministe retors, coécrit avec E.T. Feigenbaum, lesquels avaient déjà écrit ensemble un épisode de la série Hulu - et inédite chez nous - "High Fidelity" (2020). Initialement intitulé "Pussy Island", avant de voir son titre changer étant donné son côté provocateur, "Blink Twice" - tiré de l’expression "cligner des yeux deux fois si vous êtes en danger" - met en scène l’histoire de Frida (Naomi Ackie), une esthéticienne et serveuse de cocktails ayant du mal à joindre les deux bouts, alors invitée - avec sa meilleure amie et d’autres personnes - à une somptueuse fête sur une île privée appartenant à un philanthrope et magnat milliardaire de la technologie, Slater King (Channing Tatum), alors repenti après avoir démissionné de son poste de PDG et présenté des excuses publiques pour son comportement passé... Mais ce qui devait s’avérer être une expérience hédoniste de luxe pour ses invités se transformera en un véritable cauchemar inconscient, avant de s’éveiller. Après tout, est-ce une bonne idée de suivre - les yeux fermés - des inconnus ?
Tandis qu’il nous a fait penser, pêle-mêle, aux thrillers "Get Out" (Jordan Peele, 2017), "Wedding Nightmare" (Tyler Gillett et Matt Bettinelli-Olpin, 2019) ou encore à "Don’t Worry Darling" (Olivia Wilde, 2022), "Blink Twice" met en scène ce qui ressemble, à priori, à un véritable conte de fées, où des personnes (manifestement féminines) vont vivre l’un de leurs rêves, tous frais payés par leur séduisant hôte, lequel leur offre parure et luxe, lesquelles accueillies comme des rois et reines dans des chambres somptueuses, avec des sacs-cadeaux de parfum et une expérience de vacances offertes. Le tout est évidemment agrémenté de repas, de cocktails haut de gamme, de soirées arrosées et pimentées par de puissants hallucinogènes, tandis que l’expérience a lieu dans un décor paradisiaque situé sur une île appartenant audit puissant homme (lequel y reçoit en même temps ses partenaires - ici joués par Christian Slater et Simon Rex, sous-exploités), et sur laquelle pousse une sublime fleur indigène. Dommage que des serpents venimeux se mouvent dans les jardins de la villa, tout en étant cependant traqués par les domestiques...
Après nous avoir présenté longuement son héroïne très actuelle interprétée par l’actrice ayant prêté ses traits à Whitney Houston dans le biopic "I Wanna Dance With Somebody" (Kasi Lemmons, 2022), "Blink Twice" se vit à cent à l’heure, en même temps que ses protagonistes vivent, eux, leurs vacances de rêve. Le montage du film épouse alors le rythme effréné des événements, au cours desquels le temps semble ne plus avoir d’emprise. Car finalement, toutes ces journées et soirées se ressemblent, quitte à en perdre ses repères (les convives du milliardaire ont gentiment laissé leur téléphone portable à son assistante lors de leur arrivée sur les lieux), alors que la drogue n’aide en rien. La photographie aux couleurs vives reflète également la chaleur avec laquelle Frida et ses amies profitent du moment ("Tu passes un moment ?", peut-on entendre demander à plusieurs reprises le personnage de Channing Tatum à ses invités), sans se douter encore que tout cela cache une réalité beaucoup moins idyllique. Mais le spectateur, lui, se doute bien qu’il y a anguille sous roche, ce que Zoë Kravitz s’amuse d’ailleurs très subtilement à mettre ici en scène, étant donné que de véritables images de terreur sont glissées furtivement au montage dynamique du film, nous laissant voir ainsi ses personnages en sanglots (et pire encore), comme s’ils vivaient finalement ici une double vie sur cette île, mais sans en être conscients... Mais la chute n’en sera que plus douloureuse.
Tourné dans la sublime Hacienda Temozon Sur, soit une propriété du XVIIe siècle transformée en hôtel et située dans la région du Yucatán au Mexique, Zoë Kravitz réussit son premier passage derrière la caméra avec ce thriller psychologique manipulateur, où la jeune cinéaste aborde des thèmes aussi lourds que l’abus et la dynamique de pouvoir entre hommes et femmes, et surtout les violences sexuelles faites aux femmes, qu’elles soient implicites ou explicites. Ainsi, le fait de ne pas leur venir en aide est ici tout aussi punissable que l’acte. Épousant le mouvement #MeToo (mais écrit avant qu’il éclate) et rappelant l’affaire Jeffrey Epstein, son film, bien que victimisant ses personnages, est surtout un film qui répond à ses sujets, et cela par une irrésistible vengeance fantasmée, laquelle donne, à son tour, du fil à retordre "au mal", dans ce cas-ci sociopathe. Kravitz et son coscénariste insufflent alors de la tension et de l’humour très noir à mesure que ses personnages se rendent compte de ce qu’ils vivent, jouant à leur tour la comédie pour ne pas qu’on s’aperçoive qu’ils savent eux-mêmes, en se dissimulant dès lors, sous le malaise et la peur, histoire de préparer, de leur côté, la riposte... à l’aide de shots ! Ce cocktail relativement explosif révèle alors un retournement de situation quasi fantastique, tant il est malheureusement trop improbable, et ne tient pas la route, tout en en faisant de trop. Surlignant d’ailleurs ses effets sonores déstabilisants, le film peine, en effet, à justifier ses idées, étant donné notamment une motivation antagoniste pauvre de sens, et stupide. Et la mollesse de Channing Tatum n’arrange rien, lequel aurait pu davantage assumer son rôle (pourtant devant la caméra de sa fiancée) ! Tout cela est finalement excessif, et appuyé ici par l’idée qu’il est plus facile d’oublier que de pardonner... Mais est-ce pour autant pour cela qu’on puisse tout faire subir, étant donné la capacité ici de tout faire oublier ? On en doute.
Malgré ses sorties de route, ses propres abus et grossières facilités d’écritures assez clichées (quitte à nous prendre pour des imbéciles), "Blink Twice" s’avère pourtant être un étrange thriller paranoïaque très divertissant sur le moment, en plus d’être situé dans l’air du temps, tandis que les interprétations toutes en fébrilité de Naomi Ackie et (dans une moindre mesure) d’Adria Arjona répondent pertinemment avec son univers visuel clinquant et extrêmement travaillé, où le danger se fait sentir. Bref, un premier film plutôt prometteur, mais qui nécessite de cligner deux fois (ou plus) des yeux pour ne pas se laisser distraire par ses faiblesses, dénaturant la force de ses propos. N’est pas Jordan Peele qui veut...