Genre : Thriller, comédie musicale
Durée : 138’
Acteurs : Joaquin Phoenix, Lady Gaga, Zazie Beetz, Brendan Gleeson, Catherine Keener, Jacob Lofland, Steve Coogan, Ken Leung...
Synopsis :
A quelques jours de son procès pour les crimes commis sous les traits du Joker, Arthur Fleck rencontre le grand amour et se trouve entraîné dans une folie à deux.
La critique de Julien
C’est en octobre 2019 que débarquait sur nos écrans "Joker" de Todd Phillips, lequel avait remporté quelques semaines plus tôt le prestigieux Lion d’or à la 76ème Mostra de Venise. Ne s’inscrivant pas dans l’ancien DCU de la Warner, ce thriller psychologique était alors devenu à l’époque le plus gros succès pour un film classé "R" (interdit aux moins de 17 ans sauf s’ils sont accompagnés d’un adulte) aux États-Unis, lui qui avait engendré un peu plus d’un milliard de dollars de recettes dans le monde, et cela pour un budget de production estimé à moins de 70 millions. Et pour la petite histoire, celui-ci a récemment été battu par le dernier-né de l’écurie Marvel, "Deadpool & Wolverine" de Shawn Levy. Le calcul étant vite fait, "Joker" est devenu un triomphe commercial, et dès lors public, mais aussi critique, permettant au passage à Joaquin Phoenix de remporter l’Oscar du Meilleur acteur en 2020, et à la musicienne et compositrice islandaise Hildur Gunadóttir celui de la Meilleure musique originale. Mais alors que Todd Phillips avait initialement envisagé son film comme à la fois autonome, et unique (en son genre), le succès lui a (sans doute) monté à la tête, la Warner ayant insisté pour qu’il rempile, au même titre, bien évidemment, que son acteur principal, Joaquin Phoenix. Or, en plus de surprendre, l’annonce de cette suite a déstabilisé le public ayant découvert "Joker" en salles, étant donné que celle-ci emprunterait une voie musicale. Et quel incroyable risque prit par cette production, elle qui déconstruit d’autant plus les fondements du premier film. Car si "Joker" nous permettait d’assister à la naissance du personnage, "Folie à Deux", lui, confronte son antihéros à son ombre, et lui fait tomber le masque. Une suite réprimande qui, disons-le d’emblée, ne permettra pas de capituler devant les attentes des fans du précédent film, alors que son titre ment d’autant plus sur la marchandise. Car à ne pas s’y méprendre, cette "Folie à Deux" n’est définitivement pas celle que sa promotion nous a vendue depuis plusieurs mois, notamment par la présence au casting de Lady Gaga dans le rôle de Harleen "Lee" Quinzel, alias Harley Quinn. Ces deux-là, ce sont bien Arthur Fleck et son image du Joker que la société lui a assimilée, et dictée...
Quelle volte-face, quelle plaisanterie, quelle bouffonnerie ! Après avoir débuté par une curieuse séquence animée réalisée par le français Sylvain Chomet dans laquelle le Joker bataille avec son ombre maléfique alors qu’il s’apprête à entrer sur un plateau de télévision (rappelant aussitôt l’issue des précédents événements), "Joker : Folie à Deux" aliène tout ce qui avait été entrepris dans "Joker". Et cela est d’autant plus fou - et dès lors audacieux - que le film va à l’encontre de ce qu’en attendait le spectateur, lequel avait finalement placé autant d’espoir dans cette suite que les habitants de Gotham City en leur héros, lesquels ont d’ailleurs pu découvrir un téléfilm basé sur la vie d’Arthur "Joker" Fleck depuis qu’il est incarcéré, ce dernier ayant ainsi soulevé une vague d’admiration pour les crimes et la personnalité du Joker, dont celle d’une certaine Lee Quinzel, également patiente à Arkham, elle qui suit les séances de musicothérapie auxquelles Arthur va également être inscrit. Joué par une Lady Gaga bien en déca de la folie qu’on lui attendait également, son personnage n’est finalement ici qu’un second rôle parmi d’autres, incarnant justement cette attente symbolique de rébellion des marginaux rejetés incarnée par l’image du Joker. Et si Arthur Fleck n’était finalement qu’un malade mental, atteint de trouble dissociatif de l’identité, et donc responsable lui-même des crimes commis deux ans plus tôt ? Autrement dit, et si le Joker n’existait pas ? C’est en tout cas ce que va essayer de défendre ici son avocate (Catherine Keener), à son procès...
Enchaînant les va-et-vient entre un redondant procès ne faisant que ressasser les événements passés, et sa détention à l’hôpital d’État d’Arkham (où Fleck est sommé de médicaments et maltraité par les gardes), le film de Todd Phillips, toujours coécrit par lui-même et Scott Silver, s’évade dès lors comme promis dans des numéros musicaux qui dénotent forcément avec "Joker", mais qui osent, et cela lors des évasions imaginaires des tourtereaux. Malheureusement désinvoltes, parfois plombantes, ne sortant pas des sentiers battus, et aux paroles qui ne servent pas l’intrigue, ces saynètes et chansons, à la fois originales et reprises, tentent dès lors de rythmer une intrigue qui tire en longueur, en plus de tourner en rond. Sauf que le film épouse vaille que vaille sa volonté de faire définitivement du personnage du Joker un anti-divertissement. Certes, c’est là un intéressant parti-pris, mais faut-il encore l’assumer, et s’en donner les moyens... Car il y a l’art, et la manière... L’écriture se révèle alors incapable de doser à juste titre cet inattendu pied de nez, laquelle déçoit, et abandonne même froidement son personnage principal. Pire, l’intrigue se flagelle elle-même dans ce qui finit dans une démonstration de grandiloquence sans queue ni tête, tandis que la chute, elle, trop abrupte, et pourtant au cœur du film, ne fait pas le poids face à tout ce qui lui précède. Inabouti, "Joker : Folie à Deux" ne parvient dès lors pas à passer au-delà de ses idées, malgré la présence toujours aussi perturbante d’une Joaquin Phoenix qui fait peur à voir.
Détesté, rejeté, et sans doute incompris, "Joker : Folie à Deux" risque dès lors de refroidir l’audience, en plus d’avoir déjà perdu une bonne partie de son public par son existence même, en tant que film musical. Et tant qu’à parler de musique, on ne peut passer à côté de celle d’Hildur Gunadóttir, laquelle fait encore ici des merveilles d’intensité, au même titre que la photographie carcérale de Lawrence Sher, revenant également pour cette suite. Mais il demeure ici, dans l’absolu, d’un acte manqué, et très certainement raté. Qu’importe, ce "Joker : Folie à Deux" mérite d’exister pour l’autosuicide qu’il met en scène. Car bien plus qu’Arthur Fleck, c’est le projet en lui-même qui se tire ici une balle dans la tête... Et autant dire que les premiers chiffres du box-office ne sont pas bons, en attendant de vous faire votre propre avis...