Genre : Biopic, drame
Durée : 98’
Acteurs : Charlotte Le Bon, Damien Bonnard, John Robinson, Judith Chemla, Alain Fromager, Quentin Dolmaire, Virgile Bramly...
Synopsis :
Paris, 1952. Niki s’est installée en France avec son mari et sa fille loin d’une Amérique et d’une famille étouffantes. Mais malgré la distance, Niki se voit régulièrement ébranlée par des réminiscences de son enfance qui envahissent ses pensées. Depuis l’enfer qu’elle va découvrir, Niki trouvera dans l’art une arme pour se libérer.
La critique de Julien
Est-il possible de réaliser un biopic sur une artiste sans posséder les droits sur son œuvre ? C’est en tout cas le pari risqué, mais réussi de Céline Sallette avec son premier film en tant que réalisatrice. "Niki" retrace alors l’éclosion de l’artiste militante féministe Niki de Saint Phalle (1930-2002), laquelle fut plasticienne, artiste peintre, graveuse et sculptrice de renom (et même cinéaste !). Présenté en Sélection officielle dans la compétition Un certain Regard au dernier Festival de Cannes, "Niki" se concentre plus précisément sur les années qui ont précédé la reconnaissance par le monde de l’art de son travail (1952-1961), et cela avec son œuvre "Les Tirs" (1961), laquelle consistait à tirer à la carabine sur des poches de peinture, éclaboussant dès lors de multiples couleurs des tableaux-assemblages. Cette œuvre, à laquelle fait d’ailleurs référence l’affiche officielle du film, lui permettra ainsi de devenir mondialement célèbre. Née d’une mère issue de la bourgeoise américaine et d’un père descendant de la vieille noblesse de France, c’est à l’hôpital psychiatrique que Saint Phalle a curieusement découvert la peinture, là où elle est restée internée pendant six semaines, victime d’une grave dépression nerveuse, elle qui avait sans cesse l’impression d’être pourchassée. Victime d’inceste lorsqu’elle était enfant, c’est donc "chez les fous" qu’elle a entrepris sa voie vers la guérison, traduisant ses sentiments en peinture, pour se libérer. Or, il est pleinement question de cela dans ce premier film éclatant, poétique et spontané, lequel met en scène l’histoire avant l’histoire, épousant alors dans la forme et dans le fond les différentes mutations de cette artiste complexe, et cela tout au long de son art, en perpétuelle en évolution.
C’est Charlotte Le Bon qui interprète ici Niki de Saint Phalle, et cela avec toute la luminosité et, à l’inverse, la profondeur de jeu, qu’on lui connaît. Et l’actrice donne littéralement tout ce qu’elle a à offrir à son rôle et à cet hommage soigné à ce personnage, face à la caméra de Céline Sallette. En manque de rôles qui la mettent en danger, Charlotte Le Bon - étant elle-même passée derrière la caméra pour "Falcon Lake" (2022) - a donc trouvé au travers de celui-ci matière à faire, elle qui maîtrise d’ailleurs elle-même la matière, étant donné qu’elle peint et sculpte, ce qui l’a aidé à (au moins) pénétrer dans la peau de Saint Phalle, mais non sans appréhension, étant donné sa vie, les combats, mais surtout la détermination de l’artiste à exorciser ses démons. Mais avec audace et transparence, Charlotte Le Bon bouleverse et incarne les enjeux qui ont traversé cette tranche de vie de Saint Phalle, elle qui ne parvenait pas à obtenir la reconnaissance qu’elle méritait, jusqu’à ce que ses peintures témoignent de manière cathartique de la rage de vie qui l’habitait. Fantaisiste, drôle, intense et singulière, l’actrice est à l’image de ce qu’était son personnage, et lui donne également ici de la voix, à la fois nuancée et salvatrice face aux événements de sa vie.
Œuvre à part entière dans l’histoire de ses créations, le parcours original de Saint Phalle est raconté ici au travers de différents chapitres chronologiques illustrant le long parcours du combattant de l’artiste, laquelle a dû mourir et renaître à plusieurs reprises pour se réaliser. C’est donc ici l’histoire d’une femme qui s’est sauvée grâce à la curiosité et la détermination qui la composaient, et cela par le prisme de l’art, malgré un long et difficile processus de création. Aussi, il est question de sa relation passionnelle et compliquée avec son premier mari, soit l’écrivain et poète Harry Mathews (John Robinson), lequel est le père de ses deux enfants (avant les prémisses de sa relation avec l’artiste Jean Tinguely, interprété ici par Damien Bonnard), ainsi que de son rapport conflictuel à la famille et à la maternité.
Céline Sallette illumine alors sa réalisation de touches de personnalité reflétant dès lors celle de la femme qu’elle raconte. Jamais au premier degré, "Niki" parvient alors à sortir du lot des biopics, lequel possède une tonalité qui dénote autant que celle qui en est au cœur. Champs-contrechamps, écrans partagés, évolution des couleurs (grisonnantes vers chaudes), la mise en scène évolue et se transforme ici à mesure que Niki devient cet oiseau insaisissable, et libéré de sa cage. Bref, Céline Sallette parvient à sortir du naturalisme propre aux biopics du genre, elle qui réussit d’autant plus, et bien aidée par son actrice principale, à nous faire imaginer les créations de cette artiste sans qu’on ne puisse les voir à l’écran. Et c’est finalement là l’une des plus belles réussites du film, soit celle d’éveiller nos sens tout comme il donne sens à la richesse autodidacte et aux douleurs dont est parvenu à s’affranchir Niki de Saint Phalle. Le manque à gagner des droits sur les peintures de Niki de Saint Phalle se révèle dès lors bénéfique au métrage, et qui plus est pertinent, étant donné son parti-pris scénaristique, et ainsi prouve l’intelligente inventivité de ce film inspiré. Bref, un premier film ordinaire dans sa manière de partager sa vision documentée et respectueuse d’une artiste qui mérite une énième vie, ici à l’écran, laquelle permettra sans doute à une nouvelle génération d’en découvrir l’œuvre, pour inspirer, on l’espère, de nouvelles Nanas...