Genre : Drame, romance
Durée : 161’
Acteurs : François Civil, Adèle Exarchopoulos, Mallory Wanecque, Alain Chabat, Benoît Poelvoorde, Vincent Lacoste, Jean-Pascal Zadi, Elodie Bouchez, Karim Leklou, Raphaël Quenard, Anthony Bajon, Malik Frikah...
Synopsis :
Les années 80, dans le nord de la France. Jackie et Clotaire grandissent entre les bancs du lycée et les docks du port. Elle étudie, il traîne. Et puis leurs destins se croisent et c’est l’amour fou. La vie s’efforcera de les séparer mais rien n’y fait, ces deux-là sont comme les deux ventricules du même cœur...
La critique de Julien
Gilles Lellouche l’a fait... Dix-sept ans après avoir découvert - grâce à notre Benoît Poelvoorde national - le roman "L’Amour Ouf (Jackie Loves Johnser Ok ?)" (1997) de l’écrivain irlandais Neville Thompson, le cinéaste donne librement vie sur grand écran à une œuvre située à la croisée des genres, souhaitant défier certains préjugés, contrarier les films de voyous et, plus encore, parler d’amour sous toutes ses formes, le tout sur fond de lutte des classes, filmées dans les années 1980 et 1990, où la musique et la violente occupent une bonne place. Or, rien ne semble démesuré pour le metteur en scène, si ce n’est son désir ardent de réaliser ce film, dont le scénario original lui rappelle considérablement les époques qui étaient les siennes. Projet de longue date ayant mûri avec les années, tout en ayant été coécrit avec Audrey Diwan et Ahmed Hamidi, c’est quelques mois après avoir été présenté en Sélection officielle en compétition officielle au Festival de Cannes que "L’Amour Ouf" débarque dans nos salles, avec son ambitieuse fougue et sa rage au ventre, lequel, en plus de pouvoir compter sur un incroyable casting, profite d’un large budget de production, soit 35,7 millions d’euros, situé à quelques millions de celui du "Comte de Monte-Cristo" et ses 42,9 millions. Et bien qu’on lui souhaite autant de succès, force est de constater que le film de Gilles Lellouche ne joue pas dans la même cour d’école que l’épopée vengeresse, intransigeante et parfaitement orchestrée d’Alexandre de La Patellière et de Matthieu Delaporte...
Quelle entrée en matière. Dès l’ouverture, Gilles Lellouche annonce la couleur, puisqu’on y suit le personnage de François Civil et sa bande de bras cassés, prêts, semble-t-il, à casser des gueules, lesquels se déplacent alors comme dans un clip vidéo, soit côte à côte, et en rythme, avant de rouler des mécaniques et que le tout finisse dans un bain de sang éclairé par des rafales de balles dégainées à tout-va. Puis c’est au tour du générique à prendre les devants, tandis que l’énorme titre du film apparaît en rouge vif à l’image, avant que ne défile l’incroyable liste des actrices et acteurs du casting, et cela à mesure que la caméra se rapproche d’une cheminée crachant du feu depuis l’usine métallurgique de Dunkerque. Autant dire que Lellouche n’y va pas de mainmorte, et ouvre le bal avec du lourd. Le cinéaste calme pourtant ses ardeurs et divise ensuite son récit en deux parties, soit l’une durant l’adolescence de ses deux protagonistes principaux, et l’autre dix ans plus tard, lors de leurs retrouvailles. Et autant dire que ces dernières ne s’équivalent pas à l’écran, au sein d’un film qui tire certainement en longueur par excès de zèle.
Même si son (début) récit est mené tambour battant, Gilles Lellouche ne parvient pas à sortir d’une zone de confort narratif allant au-delà des sentiers (ra)battus en matière de romance. Car l’ensemble de cet "Amour Ouf" reste prévisible et, de surcroît, romancé. Pourtant, l’entame de celui-ci, elle, parvient à nous animer à mesure qu’elle fait battre le cœur de ses protagonistes, intensément joué par Mallory Wanecque et Malik Frikah, lesquels ont respectivement, et récemment joués dans "Pas de Vagues" (Teddy Lussi-Modeste, 2024) et "Jeff Panacloc : à la Poursuite de Jean-Marc" (Pierre-François Martin-Laval, 2023). Les tourtereaux vivront dès lors ici une passion dévorante, lesquels n’auraient peut-être jamais dû se croiser si le destin n’en avait pas décidé autrement. Clotaire, fils déscolarisé d’un père ouvrier taiseux (Karim Leklou), et Jackie, fille de bonne famille vivante avec son père aimant (Alain Chabat) et orpheline de sa mère, vont dès lors former le plus beau des amours de jeunesse, avant que le premier s’enfonce peu à peu dans la délinquance pour le compte d’un malfrat (Benoît Peolvoorde), s’éloignant dès lors de sa dulcinée… Cette première heure et demie souffle alors un vent de fraîcheur, à la fois référencée et inspirée par les jeunes années de Gilles Lellouche. Mais c’est surtout ici un cri d’amour de la part du metteur en scène envers le cinéma, et au fantasme longtemps attendu d’adapter cette histoire, ce dernier n’hésitant pas à jouer de mouvements de caméra impromptus, à insuffler cette première partie d’une scène de dense sublimement filmée à l’aide de spots placés derrière ses acteurs, de sorte qu’on ne voit que leur silhouette en plein mouvement, tandis que le montage épouse justement desdits mouvements pour s’enchaîner au rythme des batifolages de ses jeunes personnages, dégageant alors une énergie folle, pour une harmonie de jeu évidente. L’usage de la bande originale, avec notamment The Cure, Nas, Deep Purple, Soft Cell ou encore Prince, réussit également à nous immerger dans l’époque révolue dans laquelle se déroule cette première partie, certes reconstituée avec soin, tout en en faisant certainement de trop, dans le sens où l’on a l’impression que le cinéaste et son équipe technique ont voulu tout y mettre. Dès lors, l’ensemble s’avère fort souligné, et appuyé, ce qui amène un côté parfois superficiel au récit, duquel on s’éloigne peu à peu. Et c’est sans doute là la plus faible qualité de "L’Amour Ouf", soit celle de n’avoir aucune limite...
En seconde partie de film, et cela après un passage par la case prison pour un crime qu’il n’a pas commis, Clotaire reprendra dès lors contact avec son premier amour, laquelle s’est pourtant mariée, tout en ayant une vie bien rangée. Or, c’est très certainement dans cette seconde partie que le bât blesse, alors que la vengeance prend le pas sur l’idylle, bien qu’il ne suffise à Jackie que de retomber sur une cassette audio et de savoir que Clotaire est venu frapper à la porte de chez son père pour littéralement faire un pas en arrière. Or, en plus d’une alchimie moins évidente entre François Civil et Adèle Exarchopoulos, le récit tire terriblement en longueur ces retrouvailles, et ne fait finalement que répéter ce qu’il avait déjà entrepris bien plus tôt, tandis que le spectateur a bien compris là où veut en venir Gilles Lellouche. On peine alors à retrouver la force des premiers instants de Clotaire et Jackie, tandis que le récit, lui, semble y banaliser une violence de plus en plus embarrassante, en témoigne une scène de règlement de comptes entre les personnages de Vincent Lacoste et d’Adèle Exarchopoulos, dans une cabine téléphonique, mais dont n’avait absolument pas besoin ce récit. Mais que dire également des coups de poing sans cesse envoyés par son jeune héros ? Ce sont finalement tous ces égarements, toutes ces démonstrations vis-à-vis des questions soulevées qui dépouillent "L’Amour Ouf" de l’émotion, sensible et belle, qu’il aurait pu susciter en nous. Qu’importe, on a affaire là à un film à voir au cinéma, parsemé tout de même de moments de grâce, comme le jeu d’Alain Chabat, en père à l’écoute et complice, ou encore de celui de Benoît Peolvoorde, particulièrement réussi en malfrat de province, lesquels on retrouve durant les deux décennies, évoluant ou sombrant, en fonction des parcours, sans oublier Karim Leklou. Finalement, si l’on y regarde de plus près, ce sont bien ici les rôles de père qui semblent les plus aguerris dans cette histoire. Enfin, on ne peut que regretter que d’autres personnages, malheureusement, n’aient quasi pas de place pour exister à l’écran, tel que ceux de Jean-Pascal Zadi, d’Élodie Bouchez, de Raphaël Quenard ou d’Anthony Bajon, auquel on ne croit d’ailleurs pas une seule seconde...
Gilles Lellouche l’a donc fait. Or, si son film transpire son désir d’adapter le récit dont il s’inspire, tout en étant transporté dans le Nord de la France, il le fait d’une manière éperdument dévorante, à l’image de l’amour multiple (et avec un grand "A") qu’il y filme. Le cinéaste y déploie alors ses ailes de metteur en scène, mais se les brûle, aussi, à force de vouloir trop en faire, et de se laisser submerger par sa soif de communion avec ses inspirations. L’histoire, elle, perd des plumes à mesure qu’elle emprunte un schéma quelque peu attendu, malgré une forme extravagante qui la porte autant qu’elle finit par lui porter préjudice. Un résultat en demi-teinte, donc, et qui aurait très certainement pu durer une demi-heure de moins, ne fut-ce que pour en resserrer les enjeux, sans doute trop ambitieux. Car le constat est édifiant : on ressort de la séance sans ressentir une émotion aussi palpitante que celle que vivent ses héros retrouvés, Clotaire étant fin prêt à restituer les 457 mots définissant au mieux de dulcinée, et appris - malgré son retard de vocabulaire - en prison... Alors certes, c’est beau, mais c’est également assez naïf...