Genre : Drame
Durée : 97’
Acteurs : Tessa Van den Broeck, Koen De Bouw, Claire Bodson, Ruth Becquart, Tijmen Govaerts...
Synopsis :
Julie, une star montante du tennis évoluant dans un club prestigieux, consacre toute sa vie à son sport. Lorsque l’entraîneur qui pourrait la propulser vers les sommets est suspendu soudainement et qu’une enquête est ouverte, tous les joueurs du club sont encouragés à partager leur histoire. Cependant, Julie décide de garder le silence...
La critique de Julien
C’est le 13 septembre dernier que nous apprenions que le premier film du cinéaste belge Leonardo Van Dijl intitulé "Julie Keeps Quiet" allait représenter nos couleurs dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère aux prochains Oscar (en espérant qu’il ait la chance de figurer parmi les cinq futurs finalistes de sa catégorie). Or, après avoir déjà fait sensation au Festival de Cannes avec son court-métrage "Stephanie" (2020), dans lequel il était déjà question d’une forte pression pesant sur les épaules d’une jeune gymnaste, le réalisateur y fut cette fois-ci récompensé, en mai dernier, pour son premier long, "Julie Keeps Quiet", lequel y a remporté trois prix, dont le prestigieux Prix SACD de la Semaine de la critique, octroyé par la société des auteurs et compositeurs dramatiques. Présenté à travers le monde dans des festivals de renom, ce drame intime est d’ailleurs le fruit d’une coproduction avec la société de production Les Films du Fleuve des frères Dardenne, avec les sociétés de production suédoises Hobab et Film i Väst, ou encore avec la société de production franco-américaine Blue Morning Pictures de Florian Zeller, tandis qu’il a même attiré le regard de la star japonaise du tennis Naomi Osaka, également coproductrice exécutive du métrage, lui permettant - en partie - la résonance internationale dont il profite aujourd’hui, et cela à sa juste valeur. Et en l’occurrence, il n’est pas étonnant que cette dernière ait été touchée par l’histoire bilingue de Julie, vedette pleine de promesses d’une académie d’élite de tennis, laquelle verra son quotidien déstabilisé à l’annonce de la suspension de son entraîneur à la suite du suicide d’une autre joueuse du club, faisant ainsi l’objet d’une enquête. Mais alors que ses camarades de jeu sont encouragés à témoigner à l’égard de cet entraîneur, Julie, elle, décidera de se taire…
Difficile de rester insensible face au mutisme dans lequel s’enferme - telle dans une bulle de protection - cette adolescente pourtant bien dans sa peau, appréciée et très bonne élève. Mais c’était sans compter sur les doutes qui éveillent son incompréhension vis-à-vis de ce qui est suspecté envers son mentor et modèle, Jérémy (Laurent Caron), à priori accusé pour ses méthodes d’entraînement inhabituelles. Coécrit avec Ruth Becquart, laquelle incarne également ici la mère de Julie, Leonardo Van Dijl plonge dès lors son héroïne dans un profond dilemme, avec, en première ligne de mire, une forme de déni, tout en subissant une pression de la société, la forçant à parler. Or, si le silence peut anéantir, le fait de parler peut aussi tout changer, tout anéantir, soit le quotidien bien installé et, à priori, sécuritaire, et tout ce dont on avait conscience, ou non. "Julie Keeps Quiet" illustre alors la difficulté de sortir d’une zone d’ombre dont on en ignorait l’existence, et de l’accepter. Pourtant, c’est bien par son silence que la demoiselle va reprendre ici le contrôle de son existence, en se concentrant d’abord sur la compétition, laquelle souhaite devenir Junior Pro de l’association belge de tennis BTF. Or, le processus psychologique exercé par Julie n’est pas ici anodin, surmontant telle une championne les obstacles avec une forme de myopie, faisant ainsi preuve de résilience, surpassant ses limites, sans pour autant avoir réussi à en fixer, en restant ainsi focus sur ses objectifs... Sauf qu’elle ne pourra atteindre ces derniers qu’avec son entraîneur, elle en qui elle avait pleinement confiance, mais semble-t-il à tort. La relation (de rapport de force), somme normale pour elle, et qu’elle vivait avec ce dernier, n’était pourtant pas des plus saines. Et même si la teneur des accusations à l’égard de ce dernier n’est jamais ici citée, un dialogue entre Julie et celui-ci et une main posée sur une autre ne laisseront plus vraiment la place aux doutes. La lente prise de conscience se fera également par la rencontre entre la joueuse et son nouvel entraîneur (Pierre Gervais), dont les méthodes, elles, sont elles-mêmes rejetées en bloc par Jérémy, avec qui Julie entretient encore des appels téléphoniques, jusqu’à faire définitivement taire son emprise. Ce silence assourdissant permettra aussi à Julie de se faire véritablement entendre, en réponse non pas à ce qu’on attend d’elle, mais de ce dont elle a besoin de partager, de témoigner, au moment venu. Ainsi, ses parents ou même la responsable du club (Claire Bodson) seront véritablement amenés à réellement l’écouter...
Aucunement explicite, la mise en scène terne de Leonardo Van Dijl repose donc davantage ici sur la confrontation entre la force destructrice des non-dits et le danger de la prise de parole vis-à-vis de notre identité profonde, de notre intimité. Et la prestation de sa jeune actrice non professionnelle Tessa Van den Broeck épouse formidablement le dilemme psychologique dans lequel se situe son personnage. La demoiselle, actuellement en deuxième année d’études d’infirmière à l’UCL, et joueuse de Tennis au TC Panorama à Overijse, tout en ayant développé ses compétences en la discipline dans différentes académies depuis 2013 (dont celles de Kim Clijsters et Justine Henin), est ici troublante de retenue, le visage fermé, voire inexpressif, et sans cesse dans le contrôle. On ne peut qu’être stupéfait par le jeu mature et réfléchi de la jeune actrice, évoluant ici devant la caméra quelque peu clinique de son metteur en scène, observant sans cesse Julie dans son quotidien, avec des plans fixes et serrés sur ses moindres faits et gestes, les épelant afin de capter ce moment où tout basculera véritablement pour elle.
Alors qu’il fut tourné sur pellicule en 35mm avec le chef opérateur belge Nicolas Karakatsanis, lequel a notamment travaillé sur les films "I, Tonya" (2018) et "Cruella" (2021) de Craig Gillespie, les choix artistiques de "Julie Keeps Quiet" reflètent alors vulnérabilité et la force de son interprète principal, épiée de toutes parts. Ce léger grain sur l’image, cet effet brumeux laisse entrevoir le brouillard dans lequel se trouve elle-même Julie. Quelque part millimétrées, la mise en scène et la photographie du film ne laissent ici pas de place à l’improvisation, où chaque larme, chaque soupir de Julie a du sens, pouvant ainsi jouer dans la balance, à mesure qu’elle réussira à sortir de son isolement, et fera tomber le voile sur la vérité. Cette maîtrise formelle, si elle soutient la volonté de son metteur en scène et son point de vue, empêche cependant une certaine émotion d’éclater chez le spectateur. Pourtant, la manière avec laquelle les scénaristes travaillent l’éveil et la prise de conscience de leur héroïne à faire naître en nous une empathie grandissante, et réconfortante, tant on parvient à comprendre son personnage, et à se mettre à sa place, même si on ne maîtrise pas son coup de raquette... Enfin, le métrage n’aurait pas la même puissance sans la partition lyrique de la compositrice américaine Caroline Shaw, lauréate du prix Pulitzer en 2013, donnant ainsi de la voix à celle que Julie ne donne pas, ne trouve pas, mêlée aux violons et autres harpes, jusqu’au tie-break, où elle occupera tout l’espace, pour se faire entendre, produisant la même tension qu’une balle de match... En d’autres termes, "Julie Keeps Quiet" est un premier film résolument pesant, mais duquel on entrevoit puissamment la lumière !