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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews sur la radio RCF Bruxelles (celle-ci n’est aucunement responsable du site ou de ses contenus et aucun lien contractuel ne les relie). Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques et en devient le principal rédacteur depuis 2022.

Delphine et Muriel Coulin
Jouer avec le Feu
Sortie du film le 29 janvier 2025
Article mis en ligne le 1er février 2025

par Julien Brnl

Genre : Drame

Durée : 118’

Acteurs : Vincent Lindon, Benjamin Voisin, Stefan Crepon, Sophie Guillemin, Edouard Sulpice, Arnaud Rebotini...

Synopsis :
Pierre élève seul ses deux fils. Louis, le cadet, réussit ses études et avance facilement dans la vie. Fus, l’aîné, part à la dérive. Fasciné par la violence et les rapports de force, il se rapproche de groupes d’extrême-droite, à l’opposé des valeurs de son père. Pierre assiste impuissant à l’emprise de ces fréquentations sur son fils. Peu à peu, l’amour cède la place à l’incompréhension.

La critique de Julien

Adaptation du roman "Ce qu’il faut de nuit" (publié aux éditions La Manufacture de livres, 2020) de Laurent Petitmangin récompensée à la Mostra de Venise 2024 de la coupe Volpi de la meilleure interprétation masculine pour Vincent Lindon, "Jouer avec le Feu" est le troisième long métrage des sœurs Coulin après "17 Filles" (2011) et "Voir du Pays" (2016), lesquelles défendant un cinéma féministe, elles qui font d’ailleurs partie du collectif 50/50, ayant alors pour but de promouvoir l’égalité des femmes et des hommes ainsi que la diversité sexuelle au sein du monde du cinéma et l’audiovisuel. Mais ce n’est pas pour autant qu’elles n’ont rien à dire sur les hommes ; bien du contraire. Même s’il est avant tout question ici d’une famille, leur puissant et vibrant nouveau film raconte l’histoire d’un père veuf qui élève seul ses deux grands fils, dont le cadet, Louis (Stefan Crepon), est un brillant étudiant, et l’aîné, Fus (Benjamin Voisin), un métallo au chômage. Unis d’autant plus par la disparition de la mère de famille, les trois hommes ne se résignent jamais à être là l’un pour l’autre, et tentent à faire famille malgré la douleur. Militant socialiste apprécié et travaillant pour les chemins de fer, ce père, dédié à la cause de ses enfants, se retrouvera pourtant être le témoin - impuissant - de la dérive de son aîné, entraîné dans un groupe d’extrême droite. Alors certes, il s’agit là d’une histoire d’amour inconditionnel, mais à la portée à la fois personnelle et universelle, portant sur ses épaules une dimension politique on ne peut plus d’actualité...

Avec en toile de fond la région de la Lorraine, ses espoirs, ses désillusions, et son histoire franco-germanique, "Jouer avec le Feu" questionne alors l’inexorable avec une imparable justesse, et que l’amour - contrarié - ne peut malheureusement empêcher. Les cinéastes interrogent pour cela la parentalité vis-à-vis du chemin entrepris par les enfants. Sommes-nous dès lors responsables, en tant que parents, de ce que font nos enfants, et de leurs choix ? Jusqu’où les parents peuvent-ils dès lors empêcher ceux-ci de suivre un chemin qui ne leur convient pas, ou de leur interdire de défendre des valeurs qu’ils ne leur ont pas apprises, et même à l’opposé des leurs ? Dans la position de ce père qui n’a jamais cessé de protéger (sans doute un peu trop) ses fils, et voulant pour eux le meilleur des avenirs, il sera alors d’autant plus difficile pour lui de leur laisser toute leur liberté, dont ils ont pourtant besoin pour s’épanouir, eux qui ont d’ailleurs l’impression d’étouffer entre les murs de la maison, dans laquelle résonnent des silences et des paroles qui arriveront bien trop tard. Dès lors, pour ce père, voir l’un de ses fils prendre un chemin descendant, et dont l’issue ne peut être que négative, sera un aveu d’échec, voire de honte. Mais comment réagir avec celui-ci lorsque l’on ne veut pas creuser davantage l’écart, mais plutôt renforcer les liens ? "Jouer avec le Feu" porte dès lors en lui un récit auquel quiconque pourrait s’identifier, tant il aborde avec une désarmante honnêteté un rapport affectif mis à mal ici par la montée et les mécanismes de la dérive vers l’extrême droite, lesquels s’immiscent dans la vie des individus sans que cela ne puisse terminer autrement que par l’horreur...

Faisant manifestement passer ses tensions par l’image, le jeu de regards et les non-dits, "Jouer avec le Feu" préfère alors l’introspection à la confrontation et au voyeurisme, malgré quelques scènes un brin trop appuyées ou maladroites, bien que n’exagérant en rien les propos. Delphine et Muriel Coulin passent ici davantage par la force des dialogues, des mots, mais aussi par des effets de mise en scène, tels l’ellipse et le jeu de miroirs, nous épargnant dès lors de ce qui n’est pas essentiel à la compréhension de cette tragédie. Pas besoin, en effet, pour les cinéastes, de montrer ici l’impardonnable pour confronter ce père à un dilemme moral et intime à l’égard de son fils. Car on est en empathie totale ici avec le premier, au travers duquel Vincent Lindon excelle, une fois de plus, toute en pudeur et juste mesure, si bien dirigé et tentant, à son tour, de diriger ceux que son personnage aime plus que tout... Benjamin Voisin et Stefan Crepon interprètent également leurs personnages sur le fil, dans la peau d’une inséparable fraternité, soudée d’autant plus par le douloureux chemin qu’elle a parcouru, malgré aujourd’hui l’incompréhension, et l’inévitable désintégration dont est capable l’extrémisme, jouant avec le feu, lequel est en train de se refaire une accablante place de choix dans nos sociétés...

Visuellement, "Jouer avec le Feu" s’avère être aussi un langage en soi, où les contrastes de lumière témoignent avec ce que vivent les personnages, entre la pénombre de la maison familiale et la lumière extérieure, crue, créant ainsi des zones d’ombres dans lesquelles il est difficile d’y voir clair, d’agir, au risque d’ailleurs de mal agir. Alors que Pierre tient une torche la nuit, en tant que caténairiste, celui-ci se retrouve pourtant plongé dans la nuit, dans un récit qui se vit de manière, certes, inéluctable, mais tout en sauvant ceux qui peuvent encore être sauvés, sans jamais abandonner ni ne jamais laisser définitivement place à la noirceur, aux ultras et à leur victoire. C’est un drame qui invite justement au combat contre les idées obscures et clivantes, à l’union plutôt qu’à l’opposition, qu’au rejet. Bref, un puissant drame ouvrant à la réflexion sociale et politique, avec en son cœur les liens - jusqu’à quel point ? - indéfectibles entre père et fils.



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