Bandeau
CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews sur la radio RCF Bruxelles (celle-ci n’est aucunement responsable du site ou de ses contenus et aucun lien contractuel ne les relie). Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques et en devient le principal rédacteur depuis 2022.

Hélène Médigue
Une Place pour Pierrot
Sortie du film le 10 septembre 2025
Article mis en ligne le 16 septembre 2025

par Julien Brnl

Genre : Comédie dramatique

Durée : 99’

Acteurs : Marie Gillain, Grégory Gadebois, Patrick Mille, Mathilde Labarthe, Vincent Elbaz, François Vincentelli, Marianne Basler, Nicolas Briançon, Atmen Kelif...

Synopsis :
Pierrot, 50 ans, est autiste et vit dans un foyer. Sa sœur Camille, 45 ans, avocate et mère célibataire, découvre qu’il subit une surmédication qui le fait régresser. Révoltée, elle décide de le prendre chez elle en attendant de trouver un lieu adapté à sa différence. Une longue quête commence.

La critique de Julien

Réalisatrice, écrivaine et productrice, Hélène Médigue est également comédienne, elle que l’on a notamment pu voir sous les traits de Charlotte Le Bihac dans "Plus belle la vie" (2004 à 2009, France 3). Après avoir signé un moyen-métrage de fiction ("C’est pas de chance, quoi !", 2012), un long-métrage documentaire ("On a 20 ans pour changer le monde", 2018) et un documentaire ("Le temps de l’écoute", 2019), la voici qui s’offre une nouvelle corde à son arc, sous l’impulsion de son producteur. "Une Place pour Pierrot" marque ainsi son premier long-métrage de fiction, qui plus est inspiré par son histoire personnelle, elle dont le frère aîné est atteint d’autisme. Pourtant, la cinéaste souhaitait au départ "passer à autre chose", elle qui avait déjà traité cette thématique dans sa première réalisation, tout en ayant publié le récit "Entre deux Vies" (2010, Flammarion) et fondé l’association "Les Maisons de Vincent", lesquelles sont des "lieux de vie et d’accueil adaptés pour adultes autistes adossés à l’agroécologie". Mais conjointement avec son producteur et son coscénariste Stéphane Cabel, "Une Place pour Pierrot" ne traite pas seulement de l’autisme, mais bien d’un sujet plus universel, à savoir la place de chacun face aux conséquences de la différence, et combien ces expériences conditionnent notre identité, dans une société où la singularité reste encore source de marginalisation. Avec son approche sensible, "Une Place pour Pierrot" s’avère un film aussi pur que réconfortant, donnant à voir des êtres en quête d’une transformation, "d’une place", dans un style parfois proche du documentaire, au regard du propre parcours de sa réalisatrice...

Deux êtres en quête d’une place

C’est à la suite d’une énième surmédication de son frère aîné alors placé dans un foyer que Camille, avocate et mère célibataire de 45 ans, décide de le ramener dans l’appartement qu’elle occupe avec sa fille adolescente (Mathilde Labarthe, la fille d’Hélène Médigue). En effet, ne supportant pas l’idée de le voir régresser, elle choisit de le loger jusqu’au moment de trouver un lieu adapté à sa différence : un endroit bienveillant où il n’est pas seulement question de survivre, mais bien de se réaliser, de communiquer, "d’être au monde". Fidèle à sa volonté de reconnecter ses personnages à la vie, Hélène Médigue raconte formidablement bien celle de ses protagonistes, qu’incarnent avec beaucoup de naturel et d’émotion Marie Gillain et Grégory Gadebois. La première, à la fois forte, fragile et en colère, est à fleur de peau sous les traits de cette mère quelque peu submergée par sa responsabilité, laquelle semble n’avoir de place que pour son frère, quitte même à se sacrifier pour s’occuper des autres, et se couper de sa propre féminité, d’où sa rupture avec le père de sa fille (Vincent Elbaz). Même si son jeu semble parfois abrupt au départ, l’actrice belge est merveilleuse dans le rôle de cette femme d’un amour inconditionnel pour ceux qu’elle aime. Cette dernière tente alors de se réconcilier avec elle-même, justement par le biais de la différence que va lui apporter son frère, joué par Grégory Gadebois. Avec ce rôle, l’acteur prouve quant à lui une nouvelle fois toute l’étendue de son talent, évitant sans cesse la caricature. Son jeu terriblement sensible et gracieux bouleverse à chacune de ses apparitions, irradiant l’écran. L’acteur, malgré le manque d’habiletés sociales de son personnage et sa verbalisation limitée, parvient pourtant à le faire évoluer subtilement, lui qui présente des centres d’intérêt très spécifiques, comme l’astronomie et la nature. La personnalité si lumineuse et attachante de Pierrot ne pourra dès lors que vous toucher.

Lutter contre l’inadaptation des structures et l’intégration

Aussi, c’est l’accompagnement que Hélène Médigue met en place autour de la condition de cet homme différent qui lui permet de trouver sa place, soit celle qui lui revient de droit, et celle que chaque personne autiste devrait trouver, à hauteur de sa différence. Le métrage traite d’ailleurs en filigrane du côté inadapté des hébergements en France pour les adultes autistes, placés en hôpitaux psychiatriques ou dans des foyers, et sans être stimulés. C’est d’ailleurs dans cette optique que la réalisatrice a créé son association et ouvert, en 2021, un premier établissement à Mers-les-Bains, dans le département de la Somme, avec des activités à impact pédagogique et thérapeutique.

Entre sobriété et lumière

Techniquement, "Une Place pour Pierrot" ne privilégie pas une mise en scène stylistique forte, mais vise davantage la simplicité, pour plus de justesse. Il s’agit donc d’une petite production, ce qui se voit parfois dans certains plans, tandis que le style documentaire, et "proche de la réalité" de ceux-ci appuie parfois un sentiment d’économie des moyens. Mais "ce n’est rien", tel que le chante Julien Clerc (1971). C’est d’ailleurs cette chanson qui permet à Pierrot de se calmer lors de crises du comportement, avant d’être reprise à tue-tête par l’ensemble du casting principal lors d’une scène symbolique. On aurait presque envie de dire qu’il s’agit là d’un film qui tend vers la lumière, presque feel-good par certains aspects, sans jamais simplifier les enjeux.

De l’ombre à la lumière collective

La réalisation de Hélène Médigue, sans pathos, embrasse ainsi une ouverture d’esprit à mesure des avancées de ses personnages vers leur épanouissement, en phase avec le monde et avec la nature. D’ailleurs, la caméra passe ici d’un petit et oppressant appartement parisien à une ferme agroécologique au bord de mer, sur la Côte d’Opale. Cette évolution des décors et la luminosité croissante de l’image embrassent dès lors une forme de reconnexion à soi-même, mais toujours par le prisme de la rencontre, du partage et du collectif. C’est dans cette optique qu’Hélène Médigue a désiré offrir des rôles à des acteurs non professionnels, pour plus d’authenticité, notamment à des artistes autistes. C’est donc en cette communion, et non dans l’isolement, que réside la promesse d’une vie meilleure, adaptée à nos différences, à nos besoins et à ceux des autres, dans un environnement nous permettant de développer tout notre potentiel. Bien plus qu’un film sur l’autisme, "Une Place pour Pierrot" est une œuvre douce et inspirante, du genre de celles qui nous font encore croire en l’humanité.



Mentions légales Espace privé RSS

2014-2025 © CINECURE - Tous droits réservés
Haut de page
Réalisé sous SPIP
Habillage ESCAL 5.2.1